Les cadis de Mayotte
L’archipel des Comores, par son histoire et sa position géographique, brasse les traditions et les cultures déposées au gré des vents et des courants depuis le moyen-âge. Les premiers occupants swahilis, plus tard dominés par les musulmans, se sont mélangés aux malgaches, aux indiens et européens pour former une société composite, inégalitaire et mouvante. La colonisation française a parachevé ce métissage, en imposant un fragile diktat économique et stratégique… à plus de 8 000 kilomètres de la métropole.
Depuis 11 ans, l’île de Mayotte est devenue le 101ème département français rattaché au marché européen; il est soumis à une forte pression migratoire et son lot d’épreuves. On estime que la moitié de la population mahoraise est étrangère, venue des îles et des côtes voisines, sans statut pour la plupart. Quand l’administration échoue à résoudre ce véritable désastre humain, l’organisation séculaire cadiale, une institution régulatrice de la vie sociale et familiale, héritière du sultanat shirazi, tente d’encadrer les plus vulnérables, les femmes et les enfants.
J’ai vu ces hommes de foi et de loi, au nombre restreint de 18 sur l’île de Mayotte, agir auprès des démunis, en errance ou parqués dans les bangas (bidonvilles), célèbrent les mariages traditionnels et règlent les successions. Le Cadi est à la fois juge, médiateur et pédagogue religieux. Il est le garant d’une cohésion sociale qui concilie la tradition bantoue matriarcale et la loi musulmane depuis des siècles, en accord avec les valeurs républicaines.
Mais le défi est difficile à relever, dans un climat de défiance de l’état comorien vis-à-vis de Mayotte qui attire toujours plus de migrants que l’état français réprime. La clandestinité se généralise face au verrouillage d’une société à deux vitesses. Source d’une main d’œuvre corvéable et bon marché, ces « voisins » sont tolérés par les mahorais, notamment dans le bâtiment et les plantations, mais beaucoup d’exilés sont rejetés et livrés à eux-mêmes.
Au cœur d’une telle fournaise, les cadis de Mayotte apportent un peu d’espoir et d’apaisement. Ils offrent une voix de secours à ceux qui se noient ou qui émergent en favorisant l’instruction et la charité.